Par Joël de Rosnay, auteur des livres :
« Une vie en plus, la longévité pourquoi faire ? », Seuil, 2005
« La révolte du pronétariat, des mass media aux media des masses », Fayard, janvier 2006
« 2020 : Les scénarios du futur, comprendre le monde qui vient », Des Idées & des Hommes, 2007
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A la fois objet et sujet de la révolution biologique, l’homme tient entre ses mains l’avenir de l’espèce humaine. Il se situe à la charnière d’un « micromonde » - qui le détermine en partie - et d’un « macromonde » sur lequel il agit et qui, en retour, conditionne son existence. Sa vie dépend du moléculaire et du microscopique : protéines, gènes, cellules… Mais elle dépend aussi collectivement de son action sur la société humaine et l’écosystème sur lesquels reposent son développement et son avenir. Cette connaissance récente du micromonde et les conséquences de son action sur le macromonde bouleversent les relations que l’homme a tissées avec la nature et avec lui-même : Il peut aujourd’hui orienter une partie de l’évolution biologique par le génie génétique, la génomique ou la transgénèse. Il a le pouvoir de modifier son environnement sociétal et écologique par l’accroissement des inégalités économiques entre les hommes, la pollution ou l’altération des cycles naturels. Mais aussi celui de satisfaire les besoins et les aspirations de l’humanité.
L’évolution des relations entre l’Homme et les sciences du vivant peut être envisagée en quatre grandes phases : le passage d’une biologie « descriptive » (classement des espèces), à une biologie « explicative » par suite de l’essor de la biologie moléculaire, puis « transformatrice » par le génie génétique et les biotechnologies, et désormais « impliquante » en raison des progrès de la génomique conduisant l’homme à devenir sujet et objet de ses propres expériences.
L’approche « descriptive » de la biologie était la seule utilisée quand, lors de la découverte de la multitude des espèces vivantes, il fallait les analyser, les classer, rechercher les parentés. Cette approche a ses avantages : clarté, fil directeur, filiations. Mais elle occulte les mécanismes fondamentaux de l’évolution biologique. La biologie de « transformation » est née avec la capacité de reprogrammer la vie. La biologie moléculaire a permis de comprendre les processus de base du fonctionnement des cellules, d’abord des bactéries, puis ensuite des cellules évoluées. Le génie génétique a permis de créer un véritable langage de programmation moléculaire. La biologie est ainsi devenue une science de « traitement de l’information biologique » assistée par des moyens techniques puissants. Grâce aux biotechnologie, les sciences et techniques du vivant ont acquis une dimension industrielle : la transformation des biomatériaux et des cellules se réalisant à l’échelle de la planète, de manière compétitive et concurrentielle comme pour toute industrie, conduisant à des produits intéressant l’industrie pharmaceutique, agro-alimentaire, la chimie, l’environnement ou le secteur de l’énergie.
Avec la génomique, la transgénie, la bioinformatique, cette évolution atteint un nouveau stade : la biologie devient « implicante ». Elle questionne directement l’homme sujet et objet, ingénieur des gènes, magicien du clonage, apprenti sorcier des OGM. Nous transformons la biosphère et cette transformation nous change de manière irréversible.
Au cours de ces importants développements scientifiques et technologiques, on a pu constater que de plus en plus, le moléculaire, le numérique et le mécanique entraient en interdépendance. Cette convergence se traduit par des relations toujours plus étroites entre biotechnologies, infotechnologies, nanotechnologies et microélectronique. Grâce à l'ordinateur il est devenu possible, non seulement de visualiser des molécules complexes, mais de vérifier les modifications que l'on pouvait réaliser, d'abord en numérique et ensuite au laboratoire. Et l'essor d'outils puissants, tels que le microscope à effet tunnel (MET), le microscope à force atomique, (MFA), les biotransistors et l'électronique moléculaire ouvrent des voies nouvelles. Les percées réalisées dans la mise au point de nouveaux médicaments à partir du décryptage du génome humain s'appuient sur une relation toujours plus étroite entre biologie et informatique.
L’évolution technologique se produisant à partir de la convergence de ces nouvelles disciplines scientifiques conduit à des nouveaux matériaux, dits “ intelligents ”, à des puces implantables susceptibles de traiter de nombreux désordres métaboliques (rétine artificielle, audition artificielle, pompe à insuline, simulateurs ou défibrillateurs cardiaques), à des biopuces destinées à des tests biochimiques et médicaux ou à des machines moléculaires capables d'exécuter de nombreuses fonctions. De plus, les nanotechnologies nous ouvrent un nouvel univers de fabrication de pièces miniaturisées pouvant servir dans des systèmes de diagnostics ou des appareils implantables. Ainsi, des nanolaboratoires peuvent analyser en parallèle plus de 500.000 molécules nouvelles par jour ; des micro-usines fondées sur le principe des MEMS (microelectromecanical systems), sont capables de synthétiser des structures complexes, de séparer des mélanges comportant des concentrations très faibles de molécules, ou de procéder à la catalyse de processus variés.
Les nanotechnologies sont susceptibles d'engendrer de nouveaux risques. C’est pourquoi il est nécessaire, me semble-t-il, d’organiser des enquêtes indépendantes et des débats publics. Car construire notre avenir implique de penser au-delà des nanotechnologies. Vers ce que j’ai appelé la « biotique », le mariage de la biologie et de l’informatique, ou encore la « biologie de synthèse », dont l’objectif est de « recréer la vie ». Engagé dans la course aux nanotechnologies, à la bionique ou à la biotique, l'homme va-t-il être jaugé à l'aune de l'humain ou de la machine ? L'environnement que nous transformons nous transforme en retour. Nous ne sommes déjà plus les mêmes avec Internet et les outils portables de communication. De même que l'imprimerie, le téléphone, la télévision et l'ordinateur nous ont changé de manière irréversible, les nanotechnologies, la vie artificielle, les biorobots, les prothèses implantables où les vêtements communicants sont en train de nous reconstruire. Nous sommes en train de réinventer l'homme. Mais de quel homme va-t-il s'agir ? Un individu relié à une entité plus grande que lui dans une symbiose d'un nouvel ordre ? Ou un être fragile dominé par une organisation biocybernétique qui contrôlerait tous les aspects de sa vie ? Progrès ou régression ? La meilleure façon de prédire l'avenir est encore de l'inventer. C'est pourquoi il nous faut comprendre de tels enjeux scientifiques et technologiques afin de nous responsabiliser de manière individuelle, collective et solidaire, pour construire notre futur plutôt que le subir.
Par Joël de Rosnay
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