La notion de progrès est arrivée avec l’ère industrielle. L’idée que le progrès scientifique et technique était toujours bon pour l’humanité s’est alors imposée. Cela se comprend aisément car la maîtrise d’un certain nombre de techniques a en effet apporté un bien-être sans précédent aux communautés qui ont pu en bénéficier. Cette conception du progrès matériel s’accompagnait à la suite du siècle des lumières d’une autre qui voulait que l’homme allait devenir bon dès lors qu’il ne serait plus malheureux.
Las, cet optimisme a été cruellement malmené, surtout en Europe, par les mésaventures humaines qui caractérisent le XXème siècle. L’homme est un perpétuel insatisfait qui oublie vite les conditions dans lesquelles vivaient ses ancêtres même proches. Il est malheureusement également assez peu enclin à se projeter dans l’avenir bien que les performances de son cerveau lui permettent de le faire, jusqu’à un certain point au moins. Le progrès s’accompagne de problèmes qu’il n’est pas besoin de décrire en détail. Ces problèmes se cumulent depuis quelques temps ou sont perçus comme tels. Les épidémies de vaches folles et des oiseaux atteints de grippe aviaire mais aussi l’effet de serre, entre autres, laissent aux citoyens des pays riches un sentiment d’insécurité. C’est oublier que la nourriture n’a jamais été globalement aussi saine et abondante, que la santé des gens s’est considérablement améliorée jusqu’à permettre de gagner actuellement un trimestre de vie par an. Cela ne suffit évidemment pas à supprimer l’angoisse de la mort qui ne quitte jamais le cerveau de l’homme. A cela, il faut ajouter la dureté qu’impose l’économie moderne qui a pris le pouvoir aux dépens d’une bonne partie de ceux qui créent les richesses et surtout des plus faibles. Les découvertes et l’émergence de nouveaux produits vont beaucoup plus vite qu’autrefois et la paresse naturelle de l’homme le place de plus en plus souvent en face de l’inconnu qui est par essence inconfortable.
Tout cela fait que nos contemporains se retrouvent quelque peu déboussolés et désenchantés. La techno-science est donc prise à partie et jugée responsable de tous les maux ou peu s’en faut. Il est incontestable que l’homme agit avec empirisme et se trompe souvent mais il ne peut faire autrement. Il pourrait tout de même faire mieux en mettant en place plus systématiquement des instances de prévision et de traitement des risques allant jusqu’à s’opposer à l’exploitation de nouveaux procédés jugés à risque malgré leur excellence technique. C’est ce qu’on appelle le principe de précaution qui n’est guère qu’une version moderne du proverbe « en cas de doute, abstiens toi ».
Les OGM sont un des plus beaux cadeaux que les biologistes ont pu faire aux agriculteurs et à travers eux aux consommateurs alors que ces nouveaux produits sont considérés comme une des dernières inventions calamiteuses de chercheurs nécessairement fous. Les OGM sont de plus sensés être au centre d’un complot de type mondialiste n’ayant d’autre but que d’enrichir encore les plus les puissants et d’affamer les plus démunis tout en détruisant la planète. La réalité est bien différente mais il est actuellement en pratique impossible de le faire savoir tant les opposants sont omniprésents dans les media. Le succès des OGM dans le monde n’a pas d’équivalent dans l’histoire des semences et ils profitent de manière très significative et croissante aux pays pauvres. L’opinion publique demande légitimement des garanties de sécurité alimentaire et environnementale. Si elle était mieux informée, elle pourrait constater que le principe de précaution est effectivement mis en œuvre depuis le début de la banalisation du génie génétique dans les laboratoires et les entreprises, il y a plus de vingt ans. La sélection via les OGM n’est d’autre part pas fondamentalement plus risquée que la sélection conventionnelle pratiquée en aveugle depuis 10 000 ans. Les OGM sont par ailleurs la nourriture la plus surveillée et donc potentiellement la plus sûre. La mise en place de moratoires généralisés sur les OGM ne se justifie donc plus. Le rejet de projets inacceptables se fait désormais en routine au cas par cas par les agences de régulation nationales et internationales.
Les consommateurs sont peu convaincus de l’intérêt des OGM actuels qui ont été conçus pour aider les agriculteurs et non pour répondre à une demande des consommateurs. Les OGM de deuxième génération sont destinés surtout à améliorer la qualité des produits alimentaires et à préserver l’environnement. Les OGM sont devenus le symbole du mal et le bouc émissaire du moment. A travers eux s’expriment un rejet du progrès en bloc ainsi qu’une condamnation du libéralisme et de la mondialisation. Au total, il est patent que le débat sur les OGM n’a qu’un rapport très relatif avec les OGM. Les OGM ont bons dos. La mauvaise image du progrès que porte les OGM n’empêche pas nombre de consommateurs, y compris d’opposants, de se jeter sur les dernières nouveautés qui pourtant enrichissent ceux qui ont investi dans leur production mais pas toujours ceux qui les produisent. Les OGM offrent un champ d’action idéal à ceux qui veulent s’opposer par principe et à ceux qui savent tirer profit de cette situation de diverses manières. Les OGM sont un moyen efficace de concentrer la protestation citoyenne et de faire oublier d’autres problèmes de société autrement plus graves.
Les citoyens sont assez grands pour se forger leur propre opinion, mais cela suppose qu’ils soient bien informés. L’opposition en tant que telle a elle aussi ses règles éthiques propres. Force est de constater qu’elles sont bien souvent bafouées.
Pour plus d’information, je vous invite à consulter les articles sur les OGM de la revue Science et pseudo-sciences : http://www.pseudo-sciences.org.
par Louis-Marie Houdebine
M. Houdebine est biologiste et chercheur, il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles scientifiques sur les OGM.
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